Avoir le pouce vert
Les
yeux de la couturière sont fatigués, comme ses doigts d’ailleurs. Une légère
poudre dorée emplit peu à peu ses paupières. Son corps se détend mollement,
elle l’appuie peu à peu au dossier de la chaise et laisse glisser ses mains sur
la couverture en patchwork en partie posée sur ses genoux.
Au
centre du tissu, un tressaillement. Le bruissement d’un ruisseau, l’eau coulant
lentement entre ses doigts puis la sensation d’une corde brûlant la peau de ses
doigts crispés, le cliquetis de la poulie à cause du balancement d’un saut
métallique. Un épouvantail s’approche du puits pour lui offrir un bouquet de
violettes tel une précieuse poutargue*. Ces jolies petites fleurs tombent de
ses mains, s’étalent au sol puis s’envolent, en suivant les coutures du tissu. Des
oiseaux piaillent et s’éparpillent des arbres vers les cieux dont les tons
orangés se déposent en touches délicates parmi les verts herbus du jardin
merveilleux. Quelques œillets d’Inde et soucis émergent au milieu des
agapanthes et des cistes colorés. Des coléoptères voyagent des boules de houx
rouges aux iris bigarrés. Des papillons et des abeilles butinent ça et là, saupoudrant
sur chacune une poudre dorée qui, délicatement, éclaire le ruisseau aux éclats
métallisés, tels le raku des poteries disposées le long des chemins. Les
tableaux ont crû au gré des fils s’entremêlant de branches et de feuilles pour
créer un ensemble de douceurs harmonieusement assemblées.
Le
coucou de l’horloge la fait soudain sursauter. Ébahie, elle regarde son ouvrage
tombé au sol, les yeux encore ensablés, mais heureuse d’avoir gardé les pouces
verts, en particulier avec ces fragiles graines de tissus et d’avoir créé un
magnifique jardin pour protéger sa petite-fille des prochaines fraîches soirées
de l’hiver.
© Mistral
Claudine septembre 2013
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